En dépit de toutes turbulences subies par leurs marchés cette année, les pays émergents sont en bien meilleure forme qu’au cours des précédentes crises. Pour bon nombre d’entre eux, les fondamentaux économiques restent positifs malgré la déferlante de ventes observée. Ainsi, des opportunités se font jour pour les investisseurs avisés.
Contrairement aux précédents accès de fièvre, la chute de la dette des marchés émergents de cette année n’est pas le résultat d’un brusque coup de frein de l’économie mondiale, ou d’un krach boursier généralisé, ni même d’un effondrement des cours des matières premières. Elle est plutôt la conséquence de menaces plus progressives – les risques causés par l’accumulation de dette d’entreprises des marchés émergents; les effets du dollar fort sur les pays où la dette est libellée dans la devise américaine; le retrait constant des stimulations monétaires à travers le monde et la hausse des taux d’intérêt aux États-Unis; les répercussions des guerres commerciales menées par l’oncle Sam – qui ont poussé les investisseurs à prendre leurs bénéfices après une année 2017 étonnamment fructueuse.
Le puissant rebond des marchés enregistré l’année dernière s’était, quant à lui, appuyé sur de solides fondations économiques. D’un côté, les économies émergentes étaient moins endettées, moins dépendantes des matières premières ou des flux de capitaux étrangers. Elles étaient plus alimentées par la demande intérieure et leurs populations étaient plus riches et plus productives que jamais. Les valorisations de certaines classes d’actifs émergentes, comme les obligations des marchés émergents libellées en devises locales ou en dollars, avaient toutefois connu une hausse trop forte et trop rapide. Ainsi, lorsque le président Donald Trump a commencé à exacerber les tensions commerciales mondiales, l’inquiétude a gagné les investisseurs au sujet des conséquences possibles sur les économies émergentes des droits de douane américains, mais aussi à propos de certaines menaces plutôt intérieures pesant sur la croissance économique.
Le dollar a ainsi grimpé par rapport à bon nombre de devises émergentes.
Bien sûr, une partie des réévaluations opérées par les marchés sur les obligations et les monnaies des pays émergents était justifiée. Les prévisions de croissance des économies émergentes ont été revues à la baisse sur fond d’incertitude au sujet du commerce. Leur avantage en terme de croissance sur les économies développées a cessé de croître. Parallèlement, elles doivent s’adapter à diminution constante des stimulations monétaires de la Réserve fédérale américaine.
Cependant, tout comme il avait rebondi trop fortement, le marché s’est replié bien trop loin. Les perspectives économiques sont peut-être moins optimistes, mais elles restent positives. Les fondamentaux économiques des marchés émergents restent largement solides: les niveaux d’endettement des gouvernements sont généralement faibles, la balance des paiements est saine, tout comme les réserves de devises étrangères, tandis que la demande intérieure reste solide.
La Chine reste au cœur des préoccupations. Les mesures prises par Trump contre le pays ne devraient pas entraîner d’effondrement du commerce mondial, notamment car sa décision d’augmenter les dépenses publiques devrait creuser encore un peu le déficit des comptes courants des États-Unis. Une grande part du commerce américain avec la Chine devrait être réorientée vers d’autres économies émergentes concurrentes.
Dans le même temps, la dépréciation de 8% du renminbi face au dollar enregistrée depuis le début de l’année compense largement les droits de douane de 10% imposés par l’administration Trump, ce qui laisse les exportateurs chinois dans une situation à peine moins bonne qu’auparavant. Nos économistes estiment qu’au pire, une mise en œuvre complète des hausses de droits de douane sur 500 milliards de dollars que le pays exporte vers les États-Unis entraînerait une baisse du PIB chinois légèrement supérieure à un point de pourcentage. En l’état actuel des mesures commerciales, l’effet s’établit à environ un quart de point de croissance.
Les responsables politiques des marchés émergents ont largement réagi à cette tourmente en mettant en œuvre des politiques bien ajustées. Les taux d’intérêt ont été augmentés et soutenus par des mesures budgétaires. Parallèlement, les taux de change flexibles ont aidé à absorber les chocs. Ainsi, la plupart des économies émergentes ont traversé la tempête qui a secoué les marchés sans grands dommages. En effet, les principaux indicateurs des marchés émergents récemment publiés montrent une amélioration par rapport au trimestre précédent et se situent à des niveaux bien supérieurs à leur moyenne mobile sur trois ans.
Les pays qui affichent une forte dette en dollars et une mauvaise balance des paiements sont les exceptions. La Turquie et l’Argentine ont été particulièrement touchées. Les deux pays présentent de forts déficits des comptes courants et une dépendance importante aux flux de capitaux étrangers. Lorsque les investisseurs ont commencé à s’inquiéter de ces déséquilibres, ils ont retiré leurs capitaux. Les crises des changes que cela a entraînées ont ensuite causé une hausse de l’inflation, qui a forcé les banques centrales argentines et turques à relever leurs taux d’intérêt. Même si les hausses de taux n’ont pas suffi à faire taire la panique, elles ont quand même freiné la croissance économique, ce qui a fait entrer ces économies dans un cercle vicieux.
Si le marché avait rebondi trop fortement l'année dernière, il s'est replié trop loin cette année.
Dans le reste de l’univers des émergents, la situation a été rendue encore plus compliquée par des calendriers électoraux chargés, notamment au Brésil.
Rien qui puisse cependant justifier l’ampleur ou l’intensité des ventes d’actifs émergents. Les corrections de cours qui se sont ensuivies ont donné naissance à des opportunités attractives pour les gérants actifs. Les monnaies et les obligations des économies fortes qui présentent de bonnes perspectives de croissance semblent à nouveau bon marché, à l’image de l’Afrique du Sud et du Mexique.
Plus généralement, la prime offerte par la dette des marchés émergents semble à présent intéressante.
Au lendemain de la crise asiatique des années 1990, de nombreux gouvernements ont pris des mesures pour renforcer leurs institutions et mettre en œuvre des politiques économiques prudentes et orientées sur le long terme, qui rendent à présent un fier service à leur pays. La plupart d’entre eux traversent une période de faible inflation, affichent de solides perspectives de croissance et voient leurs classes moyennes, qui viennent grossir toujours plus leur contingent électoral, prospérer.
Les devises des marchés émergents ont atteint leur point le plus bas face au dollar depuis au moins deux décennies, d’après les mesures d’évaluation de nos économistes. Ces monnaies souffrent d’une sous-évaluation de 20% par rapport au billet vert, et le renminbi est meilleur marché que jamais en parité de pouvoir d’achat. En outre, les obligations en dollars des marchés émergents affichent un rendement de 6,4%, plus du double de leurs homologues américaines.
Dans ce genre de situation, il faut un peu de courage et une grande dose d’analyse objective pour investir. Les récompenses potentielles sont toutefois à la mesure des risques.
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